Céline
Philippe MurayCe livre a été composé entre octobre 1979 et février 1980 ; une préface lui a été adjointe en mars 1981 ; il a été publié pour la première fois par les éditions du Seuil durant le troisième trimestre de la même année : du simple rappel de ces dates, on pourra conclure qu’il s’agissait d’un autre monde ; et qu’il était encore possible d’y méditer avec une relative sérénité sur quelqu’un qui s’est aussi monstrueusement trompé que l’auteur de Voyage au bout de la nuit et de Bagatelles pour un massacre.
C’est que l’on pouvait encore s’imaginer, il y a une vingtaine d’années, que l’Histoire se poursuivait. De celle-ci, on apercevait les anciens conflits, et la poussière qu’ils avaient naguère soulevée. Il n’en restait plus déjà que la poussière, mais elle n’était pas encore tout à fait retombée.
Elle dissimulait, en tout cas, les silhouettes des cafards professionnels qui attendaient leur heure pour tout subjuguer. Il demeurait encore possible d’essayer de descendre, aussi profondément que faire se peut, dans l’expérience d’un grand écrivain, de saisir son œuvre pour ainsi dire in statu nascendi, de voir comment celle-ci s’était formée, développée, accrue, comment elle avait répondu à l’époque jusques et y compris dans ses crimes les plus noirs.